Fragments de vies
- Merly
- 12 juil. 2020
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 juil. 2020
Illustration : Valen (laperramistica) + Merly

Nous n’étions initialement que des visiteurs dans cet appartement, mais la mise en place de la quarantaine a prolongé notre séjour, impactant notre statut. Des liens plus forts se sont tissés et nous sommes rapidement devenus des colocataires, des amis et même une sorte de famille unie par la crise.
Alors je vais vous parler de cette dynamique qui s’est installée entre nous, de cette vie quotidienne sans pouvoir sortir (si ce n’est une fois toutes les deux semaines pour faire les courses). Nous sommes cinq, vous connaissez déjà Mike et moi-même, alors je vous présente le reste de l’équipe :
*Susana, qui porte plein de casquettes différentes. Hôte, nous vivons dans son appartement. Conseillère de voyage, elle a une connaissance étendue du Chili et aussi de nombreux autres pays d’Amérique latine comme l’Argentine ou le Brésil. Cuisinière, elle nous prépare des plats traditionnels chiliens afin que l’on puisse découvrir la gastronomie locale malgré la quarantaine. Mère, elle nous a tricoté des chaussons. Amie, nos discussions -qu’elles soient avec ou sans alcool- peuvent s’éterniser et aborder une grande variété de thèmes.
*Valen(tina), une Colombienne qui est venue en échange quelques jours avant le début de la quarantaine. Étudiante en arts visuels, elle lit les cartes de tarot et ne jure que par les frites faites maison (au moins une fois par jour).
*Tatiana (alias Tatis), la sœur cadette de Valen, également venue en échange. Elle étudie la communication sociale, aide Mike pour ses vidéos et a réussi à perdre du poids pendant la quarantaine (rien ne se perd, rien ne se crée : c’est moi qui ai récupéré ses kilos).
La principale difficulté de vivre à cinq dans un petit appartement est lorsqu’on décide de tous cuisiner au même moment. L’espace déjà petit de la cuisine devient réellement minuscule et impossible d’ouvrir le frigo si quelqu’un fait la vaisselle. Mais le point positif est de pouvoir discuter pendant que l’on prépare nos repas et ainsi échanger quelques recettes. De manière générale, on s’organise naturellement pour cuisiner les uns après les autres même si de temps à autre il nous arrive de préparer un repas commun.
On se réunit parfois également dans le salon en discutant des informations du jour ou alors des différences qui existent entre la France, le Chili, le Mexique et la Colombie. Les accents de chacun en espagnol sont étudiés et les Colombiennes sont rapidement baptisées « les Ouchs », cette interjection qui envahit leurs phrases inconsciemment. Mike, de son côté, défend l’accent mexicain bec et ongles, nous informant que les doublages en espagnol latino sont généralement faits par des Mexicains. C’est à ce moment-là que les moqueries à propos des téléséries mexicaines débutent et que « La Rosa de Guadalupe » est abordée. Il s’agit de la télésérie mexicaine la plus connue, elle est diffusée dans tous les pays d’Amérique latine et propose une vision tronquée et simpliste du Mexique. On la regarde parfois en rigolant et, malgré nos critiques ainsi que le non-sens de l’épisode, on reste devant notre écran jusqu’à la fin.
Le soir, il nous arrive d’organiser des repas où on cuisine à tour de rôle pour faire découvrir des spécialités culinaires de nos pays ou simplement pour le plaisir de manger et boire ensemble. Ces soirées s’éternisent lorsqu’on sort les cartes. J’avais un jeu de tarot dans la valise et on leur a enseigné le jeu du baisé, une sorte d’héritage familial qui se joue avec les atouts du tarot et où il faut deviner le nombre de plis que l’on fera. Une fois que les règles ont été intégrées on est passé aux règles du tarot, un jeu plus complexe mais tout aussi amusant. On découvre lors de ces parties endiablées de nouvelles facettes de nos personnalités, notamment de Tatiana qui -dixit- ne perd jamais. Surtout lorsqu’elle est pompette. Elle nous le répète encore et encore alors même qu’elle est en train de perdre. Nul doute que lorsque le pisco (alcool traditionnel) coule à flots, elle est soulagée d’habiter au fond du couloir.
Pendant cette quarantaine on a fêté trois anniversaires. Celui de Mike est arrivé en premier et on a prouvé que cet appartement pouvait recevoir trente personnes. On n’était que cinq, certes, mais avec plein de perruques donc l’illusion était parfaite. Puis, en plaisantant, on disait que l’on serait toujours en quarantaine au moment de l’anniversaire des sœurs un mois et demi plus tard… Et lorsque leur anniversaire est finalement arrivé, nous étions toujours en quarantaine. Dix jours séparent leur anniversaire, Tatis étant la première. Malgré la quarantaine on a réussi à trouver des cadeaux, à cuisiner des gâteaux et à préparer des petits plats typiques.
Je parlerai rapidement des potentiels vols de rapatriement des Ouchs en Colombie car ils ont eu un impact important sur l’ambiance au sein de l’appartement et le moral général. Les Colombiennes ont vu leur vol de retour être annulé et attendaient de savoir quand elles pourraient rejoindre leur famille car les frontières du Chili et de la Colombie étaient fermées. La difficulté pour elles était de supporter l’attente et l’incertitude, de croire en certaines opportunités pour finalement ne pas voir leur situation évoluer.
Il y a eu deux faux départs avant qu’elles ne soient finalement rapatriées, autrement dit : trois repas d’adieux où l’on veillait à manger au-delà du raisonnable afin de goûter aux plats que nous avions tous préparés : enchiladas mexicaines, pastel de choclo chilien, croque-monsieur français, hamburgers, cookies…
Le 20 juin, les deux Colombiennes ont donc pu rentrer chez elles et retrouver leur famille, ne laissant plus que Mike, Susana et moi dans l’appartement. Le calme était surprenant les jours suivants jusqu’à ce qu’on s’y habitue. Avec Mike nous avons « hérité » de leur chambre - plus grande que celle que nous avions jusqu’alors - avec salle de bain indépendante. Beaucoup de changements en peu de temps.
Nous ne sommes désormais plus que trois, mais nous continuons de songer aux Ouchs en nous remémorant ces moments passés avec elles.
Nostalgie.
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