Vol de rapatriement
- Merly
- 23 juil. 2020
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 juil. 2020
Il était une fois deux colombiennes au Chili sans la possibilité de rentrer chez elles...

Au Chili, les frontières terriennes, maritimes et aériennes ont été fermées à partir du 18 mars suite à l’importante augmentation de cas de contamination liés au COVID-19.
De ce fait tous les vols ont été annulés, y compris celui de mes colocataires, les sœurs colombiennes Valentina et Tatiana. Elles avaient leur billet de retour pour juillet mais la compagnie aérienne leur a annoncé que leur vol avait été annulé, la Colombie ayant elle aussi fermé ses frontières.
Alternant avec leurs cours en ligne, les deux sœurs envoyaient de nombreux mails à leur ambassade afin de savoir quelles étaient les solutions proposées pour qu’elles puissent rentrer au pays. Après une très longue attente, elles ont finalement eu une réponse et ont dû remplir de nombreux formulaires concernant leur situation. Les semaines ont passé sans grandes nouvelles jusqu’à ce qu’un premier vol de rapatriement soit organisé.
Il s’agissait d’un vol dit « humanitaire » proposé par l’ambassade mais qui coûtait toutefois 500 dollars par personne. Valentina et Tatiana ont été prévenues quelques jours avant le vol qu’elles se trouvaient sur la liste d’attente; leur contact ignorait si le fait d’avoir vu leur vol de retour annulé pouvait leur donner le droit à un échange ou à une réduction sur le billet. Elles ont alors commencé à faire leurs valises et à se renseigner afin de savoir si leur famille parviendrait à réunir une telle somme en quelques jours à peine.
La veille du vol (moins de 24h avant le décollage) elles ont finalement été prévenues par mail qu’elles n’avaient pas été sélectionnées pour rentrer. L’avion a donc décollé sans elles et aucun autre vol de rapatriement n’a été organisé pendant environ un mois.
Après une longue attente sans avoir d’information de la part de l’ambassade, un autre vol a été organisé. Cette fois, c’était le Chili qui en était l’instigateur, désirant rapatrier les Chiliens présents en Colombie. Afin de ne pas envoyer l’avion à vide, il a été proposé à des Colombiens de prendre ce vol qui serait gratuit à une condition : les passagers auraient interdiction de revenir au Chili durant 9 ans. Une punition radicale et injuste mais l’heure n’était pas à la négociation, le vol étant programmé pour les jours suivants.
Après une longue réflexion, Valentina et Tatiana ont pris la difficile décision d’accepter cette interdiction de revenir au Chili en échange d’un vol retour gratuit. Aucune heure n’avait été définie et aucun billet d’embarquement ne leur avait été envoyé. Nous avons néanmoins organisé un second repas d’adieu, cette fois-ci avec plus de gravité puisque la punition rendait ce départ difficile. La veille au soir du vol de rapatriement, un appel de leur ambassade les informe que le vol a finalement été repoussé, la Colombie n’ayant pas accepté d’ouvrir son aéroport… Un mail reçu peu après a confirmé ce report sans le justifier officiellement et sans spécifier la date à laquelle aurait lieu le vol.
C’est à ce moment-là que nous avons d’ailleurs appris que des individus profitaient du désespoir de certains Colombiens de rentrer au pays pour les voler. Ils demandaient de l’argent en échange de la promesse d’organiser leur vol de rapatriement. Si Valentina et Tatiana avaient la chance d’avoir un hébergement, plus de deux cents Colombiens se trouvaient dans une tout autre situation et campaient devant leur ambassade depuis plusieurs semaines. Ils espéraient ainsi lui mettre suffisamment la pression pour que soient organisés des vols de rapatriement pour le reste des expatriés. Lors de ce vol retardé, plusieurs familles se sont rendues à l’aéroport en étant persuadées d’avoir des billets d’avion ainsi qu'un vol de confirmé alors même qu’ils venaient de se faire escroquer de plus de 500 dollars par personne…
Quelques jours plus tard, la rumeur d’un vol organisé par une compagnie aérienne nous parvient. Les billets coûtent 500 dollars par personne et nous peinions à comprendre la logique derrière tout cela : le vol gratuit est retardé par les autorités jusqu’à nouvel ordre mais le vol payant quant à lui peut se réaliser. …Ou alors on se refusait à voir l’explication plus malhonnête et plus lucrative.
Valentina et Tatiana ont néanmoins réessayé d’obtenir des places pour ce vol retour. À leur plus grande surprise, la veille du vol (un peu plus de 24h avant le décollage), elles ont été prévenues qu’elles étaient sélectionnées et que la compagnie aérienne s’était arrangée pour échanger leurs billets de retour. Le vol a donc été gratuit pour elles et aucune sanction n’a été retenue à leur égard de la part du gouvernement chilien. Ce jour-là elles sont parties tout l’après-midi pour « visiter » en partie le centre de Santiago tandis qu’on cuisinait avec Mike et Susana un repas mexicain-chilien-français pendant ce temps-là. Lorsqu’elles sont rentrées, on n’a fait que manger, discuter, boire et profiter de ces dernières heures. Le troisième repas d’adieu était le bon.
Le lendemain, le mercredi 17 juin 2020, elles ont pris leur vol pour la Colombie.
Elles nous ont ensuite expliqué comment s’était passé leur vol avec quelques vidéos en illustration. Elles étaient arrivées avec 5 heures d’avance à l’aéroport et avaient passé deux à trois heures à attendre pour valider leurs papiers avec l’ambassade de Colombie. Il y avait beaucoup de monde et une très mauvaise organisation. Toutefois elles ont pu monter à bord de l’avion sans aucun problème. Elles ont été prévenues avant de monter que les toilettes de l’avion ne seraient pas accessibles… Sur un vol d’une durée de 6 heures. Autrement dit les toilettes de l’aéroport ont été prises d’assaut par tous les passagers de ce vol et, évidemment, elles n’étaient pas nettoyées entre le passage de chacun… Une fois à bord les passagers portaient tous leur masque (sauf leur voisine) mais tous les sièges de l’avion étaient occupés : la distance sociale était un mythe. Le personnel de l’avion quant à lui portait des tenues dignes d’un chirurgien et le repas qui leur a été offert était emballé dans du plastique lui-même emballé dans du plastique.
Une fois arrivés à Bogota tous les passagers ont dû passer par la douane, faire désinfecter leurs passeports où a été inscrite leur date d’entrée ainsi que la date de leur fin de quarantaine obligatoire. Ensuite des taxis spéciaux les attendaient pour les mener jusqu’à leur domicile et une photo d’elles devant leur maison a été envoyée comme « preuve » qu’elles allaient se confiner à cet endroit où elles avaient témoigné rester.
Depuis, un mois est passé et seuls les vols de rapatriement permettent d’entrer ou de sortir du pays. Quelques vols internes sont également organisés entre certaines villes, une fois par semaine, mais ils sont destinés uniquement à ceux qui travaillent. La quarantaine continue dans la capitale et les plus grandes villes du pays même si des plans de déconfinement commencent à voir le jour. Les compagnies aériennes mettent en vente des billets à des prix plus qu’attractifs pour septembre afin de relancer le tourisme et l’économie, faisant un pari sur le contrôle de la pandémie au Chili d’ici-là.
-Merly
PS : Si vous voulez voir les vidéos prises par les sœurs lors de ce vol, vous les trouverez à la fin de la vidéo de Mike : Vuelo de repatriacion Chile-Colombia
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